samedi 29 décembre 2007

La foi

Le bouddhisme a une conception très large de la foi, surprenante voire choquante pour les théistes. Certes, il admet la foi aveugle, qu'il dénomme "foi dénuée de raisons (rgyu mtshan med pa'i da dpa), car il sait - l'expérience l'a démontré - que la foi du charbonnier permet de progresser, dans une certaine mesure. A la simple croyance, il préfère cependant "la foi fondée", ou plus littéralement "la foi dotée de raisons" (rgyu mtshan dang ldan pa'i dad pa). C'est que la foi étayée par la sagesse et la connaissance a l'avantage d'être stable ; elle ne risque plus d'être ébranlée et encore moins perdue, quelles que soient l'éloquence et la verve du contradicteur.

En outre, le bouddhisme observe que ces deux facettes de la foi peuvent chacune revêtir trois visages : - confiance / conviction ; - admiration / émerveillement ; émulation, tant et si bien que la foi bouddhiste embrasse tous les phénomènes existant, y compris les plus négatifs ! Mais évidemment pas avec la même optique…

Pour plus de clarté, prenons quelques exemples.
Vis-à-vis des qualités de bouddha, un bouddhiste peut éprouver les trois formes de foi : confiance, admiration et émulation (l'envie d'épanouir des vertus comparables).
Envers les qualités du Bouddha Shakyamouni, il ressent sans doute confiance et admiration, mais cette fois l'émulation est exclue : personne ne peut s'approprier les qualités de quelqu'un d'autre.
A l'égard de la souffrance, il va développer une conviction, ou si vous préférez une compréhension à propos de ce qu'elle est ou n'est pas. Mais il est évident qu'un objet tel que la souffrance ne lui inspire ni admiration ni émulation !

vendredi 28 décembre 2007

Potowa, grand maître Kadampa


En fondant le monastère de Rating (Rva-sgreng) en 1056, Dromtönpa établissait l'ordre Kadampa, fondé sur l'Enseignement d'Atisha. Ses trois disciples principaux avaient des personnalités très différentes, d'où des manières d'enseigner également fort diverses. C'est ainsi qu'appurent les trois lignées Kadampa, ultérieurement réunies par Je Tsongkhapa.

A l'origine des Kadam Shoungpawa (gzhung pa ba), il y eut Potowa (Po to ba Rin chen gsal ; 1031-1105), qui fut abbé de Rating. C'était un immense érudit mais il savait se mettre à la portée de ses auditeurs: il recourait très souvent à de savoureux exemples (parfois crus) tirés de la vie quotienne des nomades. Cependant, ce qui facilitait la compréhension de ses contemporains compliquent la nôtre, car il utilisait des expressions populaires qu'on ne trouve dans aucun dictionnaire et que la plupart des Tibétains d'aujourd'hui sont d'ailleurs incapables de déchiffrer...

Toujours est-il qu'en plus de la Lumière de la Voie (Lam sgron) composée par Atisha, Potowa se reportait à six traités indiens :
Mahâyâna-sûtra alamkara-kârikâ de Maîtreya ; Bodhisattvabhûmi d'Asanga ; Jâtakamâlâ d'Ashvagosha ; Udânavarga de plusieurs arhat ; Shikshâsamuccaya de Shântideva ; Bodhisattvacaryâvatara de Shântideva.

Quand Potowa était encore enfant, son père lui avait conseillé d'étudier tout particulièrement un ouvrage de Vasubandhu à propos des cinq agrégats. Ce qu'il fit avec succès.

mardi 25 décembre 2007

Message(s) de Noël



Sous la protection des deux jeunes Chogtrul Rinpoche - nouvelles formes revêtues par les éminents Kyabje Ling Rinpoche et Kyabje Trijang Rinpoche -, je vous souhaite à toutes et à tous "Joyeux Noël".

En tant que bouddhiste, j'apprécie infiniment les valeurs de Noël qui m'émeuvent et me charment : douceur, amour, harmonie, espérance.

Que la trêve de Noël soit partout et par tous respectée ! Que chaque jour soit Noël !

lundi 24 décembre 2007

Une héroïne de l'ombre

Il y a quatre ans décédait une amie très chère, une semaine après la mort subite de ma soeur de coeur.
Yolande est quelqu'un que j'aime infiniment et que j'admire beaucoup. Courage et générosité étaient deux de ses nombreuses vertus. A ceux qu'elle rencontrait, elle distribuait des photocopies de ce poème bien connu, mais pas suffisant lu et médité.

C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai eu envie de vous le proposer pour Noël, au nom de Yolande - qui, plusieurs années auparavant, avait perdu son fils unique victime d'un accident de moto. Inconsolable, elle a continué de donner un sens à sa vie en aidant maintes personnes en difficulté. Notamment des jeunes à la dérive, qu'elle n'hésitait pas à héberger, parfois des années durant, le temps de les remettre en selle. Elle avait l'art de les écouter avec bonté et patience, et savait se montrer ferme quand c'était nécessaire pour les (re)structurer.

Qui était vraiment l'auteur de ce poème ? Ou par qui a-t-il été inspiré ?
Car, en ces quelques vers, je retrouve la méthode prônée par le Bouddha pour mettre à égalité les huit principes mondains (également appelés les huit préoccupations mondaines) : gains et pertes ; bonheurs et malheurs ; paroles agréables et désagréables ; louanges et critiques.

Ce me semble aussi être une excellente évocation de l'éthique de bodhisattva. Mais sans doute est-ce là une interprétation très personnelle...

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,

<Tu seras un Homme, mon fils.



Rudyard Kipling

vendredi 21 décembre 2007

Moine et artiste

Yeshe Dorje (Cf. article précédent) est une bonne illustration des religieux qui sont également d'habiles artistes.

Né en 1960 pendant la débâcle et orphelin de père très jeune (sa mère, remariée, habite au Bhoutan), il est arrivé au monastère de Gyudmed à 9 ans, à Dalhaousie, et a été incorporé à 13 ans.
Son professeur Ngagwang Norbu, auteur de nombreux thangka dont trois grands qui représentent Guhyasamāja, Saṃvara et Vajrabhaïrava et sont installés dans le temple de Hunsur (Inde), à la gauche de l'autel, a vite décelé en lui des talents artistiques et lui a donné une excellente formation.

Après avoir obtenu un premier prix d'écriture décerné par le gouvernement en exil, Yeshe Dorje a passé toute l'année 1982 à Dharamsala pour concevoir les quarante et un thangka qui retracent environ trois cents activités de la vie du Buddha, à partir des cent huit épisodes principaux. Après avoir consulté maints livres rares en bibliothèque et recopié des pages et des pages, il s'est consacré onze mois durant à tracer, seul, les lignes des quarante et un thangka. La peinture a ensuite demandé plus de deux ans à cinq peintres, dont lui.

Artiste polyvalent, il a également façonné les décorations en ciment qui se dressent sur le toit du nouveau temple. Mais à partir du moment où la philosophie a été introduite à Gyudmed Datsang, en 1981, il y a pris goût et aurait souhaité se consacrer à l'étude plutôt qu'à la peinture.
Ses brillants résultats l'ont fait choisir en 1993 comme le premier professeur non geshe nommé à l'école. Outre les premiers rudiments de logique, il y a enseigné le Ngag-rim, les Etapes de la voie tantrique.

C'est pourtant lui qui a été désigné, en 1996, quand la Fondation Alexandra David-Neel de Digne a invité deux moines pour confectionner des torma en beurres colorés et autres offrandes, ce qu'il a fait en compagnie de son ami Kälzang du 21 juillet au 13 septembre. Il est vrai qu'il parle assez bien l'anglais. Il était du reste déjà allé au Canada où il a de la famille à Montréal, et au Japon à l'invitation de son ami Koïchi Hiraoka.

Il y a une dizaine d'années, Yeshe Dorje a été invité en Californie par l'actuel abbé de Ganden Jangtse, qui y a un centre, pour réaliser avec quelques assistants une nouvelle collection de 41 thangka, cette fois destinés au nouveau temple de Jangtse.
Naturalisé Américain, il a déjà plusieurs expositions à son actif dans différents états de son pays d'adoption. Mais de coeur il ne s'est bien sûr jamais éloigné de sa communauté d'origine, qui du reste l'a élu intendant l'an dernier, pour une durée de trois ans. Il est donc actuellement en Inde.

mercredi 19 décembre 2007

Rencontre dans le train

Les étrangers du train
(traduction de l'anglais par Lydie Echernier)

Cette histoire vraie a été vécue et relatée par un moine de Gyudmed Datsang et peintre de thangka, Yeshe Dorje, et éditée par Julia Hengst.

"Récemment, je pris le RER de Union Station à West Covina, à Los Angeles. Le trajet dure quarante minutes. Parce que c'était l'heure de pointe, le train était plein et il restait seulement deux sièges. Par chance, j'obtins l'un d'eux. Je m'assis côté couloir, et le siège adjacent côté fenêtre était vide.

Quelques secondes plus tard, un homme corpulent monta et scruta le wagon à la recherche d'une place. Il aperçut le siège vide à côté de moi et, en disant : "Excusez-moi", il passa devant moi et s'assit. Il tenait à la main un petit sac en papier brun portant l'inscription "sandwich". Après s'être assis, il se tourna vers moi et m'observa de la tête aux pieds.

"D'où venez-vous ?, me demanda-t-il.
- Je suis Tibétain, dis-je.
- Est-ce la tenue tibétaine normale ?
- Non, c'est mon uniforme, répondis-je.
- Etes vous religieux [ndlt: en anglais, l'expression "religious person"
veut à la fois dire "religieux" et "croyant"]?" demanda-t-il.
- Je ne sais pas exactement ce que vous entendez par "religieux", donc je
ne peux pas dire si je le suis ou non, mais je suis un moine, dis-je. Et vous?"

Il ouvrit le petit sac en papier et en sortit une bouteille d'alcool à
moitié vide.
"C'est ça ma religion," dit-il.

Je me sentis mal à l'aise, mais je pris une minute pour réfléchir et me remémorer qui j'étais à ce moment précis, où je me trouvais, et quelle était la meilleure façon d'agir.

Il but une gorgée et ferma les yeux quelques secondes. Il regarda mon visage, encore et encore, et ses yeux trahissaient que quelque chose l'intriguait.
- Etes-vous marié?" demanda-t-il.
- Non, dis-je.
- Avez-vous déjà eu une femme?" demanda-t-il.
- Jamais, répondis-je.
- Avez-vous une petite amie?"
- Non, dis-je.
- Quel âge avez-vous?" dit-il.
- J'ai 45 ans."

Il me dévisagea et remua. Il fit aller et venir sa bouteille d'alcool de
sa main droite à sa main gauche, me signifiant que l'idée lui semblait
bizarre. Je savais que mes réponses nous avaient mis tous deux dans une
position inconfortable, aussi essayais-je de me relaxer et de considérer
cet homme comme mon meilleur ami.

"C'était juste pour rire ; j'ai une très belle femme, dis-je.
- Vous savez quoi? Je savais que vous rigoliez!, dit-il. Dites m'en plus
à propos de votre femme.
- Son nom est Voeux du Vinaya, dis-je.
- Quand vous êtes-vous marié ? demanda-t-il.
- Quand j'avais neuf ans, dis-je.
Il hurla pratiquement:
- Je vous ai demandé quand vous vous êtes mariés!
- Oui, Je me suis marié à l'âge de neuf ans.
- Vous rigolez. Dites-moi la vérité, m'intima-t-il.
- Je vous dis la vérité. Il y a un certain nombre de choses qui ont lieu
dans mon pays que vous ne croiriez pas. Par exemple, certains hommes ont
neuf femmes, d'autres ont cinq femmes", lui dis-je.

Son visage s'éclaira visiblement, comme si mes mots répondaient
parfaitement à ses attentes.
"Combien de femmes avez-vous?, demanda-t-il.
- J'ai juste trois femmes, dis-je.
- Cool! J'ai deux femmes - pas autant que vous, mais j'ai de la chance
parce qu'il n'y a aucun risque qu'elles se rencontrent jamais.
- Où vivent-elles? demandais-je.
- L'une vit à Korea Town [ndlt: district de Los Angeles], l'autre à Azusa
City [ndlt: ville du comté de Los Angeles]", dit-il.

Je lui dis:
"Je suis vraiment chanceux car mes trois femmes sont amies - elles ne peuvent pas vivre les unes sans les autres.
- Wouah! Dites-moi comment elles parviennent à vivre en paix ensemble!,
dit-il.
- Ma femme la plus âgée, Voeux du Vinaya, est très paisible et ne cause
jamais de problème; elle ne ferait pas de mal à une mouche. Elle est
généralement calme et tranquille. Elle aime aider les autres et ne leur
fait jamais de mal. Les deux autres la respectent comme leur grande
soeur. Ma seconde femme s'appelle Voeux de Bodhisattva. Elle est très
occupée à prendre soin de toute la famille et même de nos voisins. Elle
est très volontaire.
Ma plus jeune femme est Voeux Tantriques. Elle est très belle et sexy,
mais aussi un peu fofolle. Voeux de bodhisattva prend soin d'elle comme si
elle était son enfant. Si je n'avais pas Voeux de Bodhisattva pour
femme, j'aurais divorcé de Voeux Tantriques il y a plusieurs années
déjà. Je ne peux pas m'occuper d'elle, et ma première femme non plus.
Seule Voeux de Bodhisattva peut s'en charger. Je suis fier de ma
famille, dis-je.
- Et si je vous présentais à tous mes deux femmes?" demanda-t-il.
- Je ne pense pas.", dis-je.
Puis nous entendîmes une annonce disant que nous arrivions à la station
de West Covina.
"A bientôt mon ami," dis-je.
"Passe une bonne journée, mon ami," répondit-il."

Mandala Magazine, décembre 2007-janvier 2008

Les horreurs de la condition animale

Les émissions sur la vie des animaux sont souvent magnifiques et passionnantes, mais la réalité n'en demeure point terrible.
Le bouddhisme range les naissances animales parmi les trois types d'existence infortunées, ô combien. Nous avons pourtant parfois tendance à occulter la réalité quand nous nous extasions ou nous attendrissons sur nos gentils compagnons familiers, chats, chiens ou autres.

Une amie vient de m'envoyer le lien suivant, qui m'a sévèrement rappelé à l'ordre, je dois le reconnaître :
http://www.petatv.com/tvpopup/video.asp?video=fur_farm&Player=wm&sped=med
En fait, je ne conseillerai à personne de regarder. Ce sont des scènes de sévices et tortures infligés à des animaux. Plutôt que de jouer les voyeurs au risque de devenir blasés, mieux vaut peut-être se contenter de réfléchir. Mais de réfléchir vraiment.

Comment réagir devant des actes de cruauté ?
Avant tout par de la compassion, si j'ai bien compris et retenu les Enseignements de mes Maîtres.
Envers qui ? Envers les victimes, bien sûr, mais aussi envers les bourreaux ! Et ça, c'est difficile.

Qu'est-ce que la compassion selon le bouddhisme ? C'est une perception qui, par définition, porte sur des êtres en proie à la souffrance; elle consiste donc à ressentir leur souffrance comme inadmissible et intolérable. Elle peut même aller jusqu'au désir, voire à la volonté de faire le nécessaire pour les délivrer de la souffrance.
Or, la souffrance ne se limite pas aux seules douleurs physiques et peines morales, a expliqué le Bouddha. Pour commencer, elle inclut leurs causes, à commencer par les "trois poisons" de l'esprit que sont l'ignorance, l'attachement et l'aversion. Ensuite, elle englobe ce que nous appelons "la souffrance du changement" : tous les bonheurs et plaisirs imparfaits de ce bas monde, éphémères et décevants. Enfin, elle se fonde sur "la souffrance inhérente à l'existence conditionnée". Cette expression quelque peu absconse désigne notamment nos sensations neutres, qui recèlent les germes des sensations agréables comme désagréables momentanément latentes.

Pour en revenir aux tortionnaires, ils méritent donc bien toute notre compassion, car la cruauté ne peut naître que des poisons de l'esprit suscités, qui les poussent à accumuler force karma foncièrement négatifs. Avec toutes les conséquences que cela risque d'avoir pour eux dans un avenir plus ou moins lointain.

C'est par compassion qu'il conviendrait de les empêcher de forger leur propre malheur de demain en tourmentant les victimes impuissantes d'aujourd'hui. Car, dans le bouddhisme, bonté rime avec fermeté, et nullement avec faiblesse...

mardi 18 décembre 2007

"Course aux abris"


Au Tibet jusqu'en 1959, dans les monastères tels que Gyumed Datsang ou Dagpo Datsang, les moines ne sont pas sédentaires, loin de là. Ils accomplissent chaque année tout un périple, car les sessions sont réparties entre plusieurs sites assez éloignés les uns des autres. D'où l'utilisation de ce que faute de mieux, je traduis pour le moment par "abri".

L'abri, rtsig-rva, est souvent un minuscule espace délimité par des pierres et, en principe, pourvu d'un toit : il faut au moins une saillie suffisante pour protéger les textes des intempéries. Il y a juste de la place pour une personne assise. L'occupant provisoire utilise son rtsig-rva pour étudier et méditer.

N'oublions pas qu'en général, les sessions se déroulent dans des lieux isolés qui ne comportent que peu de bâtiments : un temple, une resserre, les locaux des unités régionales, les appartements de l'abbé. Beaucoup d'activités se déroulent à l'extérieur, avec des conditions climatiques pour le moins rudes, et le temple sert de dortoir commun à tous les moines, à l'exception de l'abbé et du surveillant. Le rtsig-rva procure donc un peu d'intimité et de confort, certes rudimentaire. Même s'il se borne à un trou avec une pierre en avancée pour les livres, c'est un espace personnel, le temps d'une session.

Dans le cas de Gyudmed Datsang, le 2ème jour du 2ème mois, a lieu "la course aux abris" (rtsig-rva rgyud-bzung).
Tôt le matin, dès que les lignes de la paume de la main deviennent visibles, le gardien du site (khang-gnyer) trace une ligne blanche derrière laquelle les moines doivent attendre. Après avoir inspecté les abris, le maître de discipline se rend devant l'oratoire du Protecteur Damcän. Ayant drapé son étole (gzan) sur son avant-bras gauche, il fait par trois fois le geste de le lisser - ce qui équivaut à trois prosternations - puis fait un signe de la main.
Aussitôt, chacun s'élance en courant et le premier abri qu'il atteint lui est alloué. Comme on peut s'introduire dans les abris soit par un seuil, soit en sautant par l'ouverture du toit, si deux moines arrivent en même temps au même abri mais l'un par l'embrasure de la "porte", l'autre par le haut, l'abri revient au premier. Si les deux se présentent par le même accès, c'est l'aîné qui l'emporte. Avant cette course, personne n'a le droit de déposer le moindre objet dans un abri.

lundi 17 décembre 2007

Monastères du Tibet


Monastère de Ganden
(avant destruction)

Les monastères tibétains, parfois immenses, se subdivisent si nécessaire en unités régionales (khang-tshan) et celles-ci en sections locales (mi-tshan), avec à chaque niveau des dirigeants, des règles internes, et en général des assemblées propres (mais pas à Gyudmed Datsang où toutes les assemblées sont plénières).

Les moines entrent dans l'une ou l'autre, soit en fonction de leur région d'origine, soit de leur monastère initial. Cela leur permet de ne pas être isolés. Beaucoup y retrouvent un parent, un voisin ou, au moins, un ami d'amis, qui les accueille à leur arrivée et les aide dans les premières démarches, voire devient leur tuteur s'il a l'ancienneté et la compétence nécessaires. Pour autant, ce n'est pas parce qu'une unité porte, par exemple, le nom d'une région du Kham qu'elle n'abrite que des Khampa. Elle peut comporter des sections locales destinées à des personnes d'autres régions, elles-mêmes éventuellement variées : le Tibet est très vaste ; il est impossible de proposer autant de sections qu'il s'y trouve de vallées. Il faut donc opérer quelques regroupements, parfois inattendus, mais fondés sur les raisons historiques ou ... d'effectifs.

Imaginons un dénommé Nyima qui serait le premier de son village, ou de son petit monastère reculé, à entrer dans un grand collège du Centre. Il ne sait trop où aller mais un ancien, bienveillant, le prend en charge ou le mène auprès de quelqu'un susceptible de le faire. Bref, il trouve le tuteur indispensable, mais qui est originaire d'un lieu bien éloigné du sien. Le précédent est créé, et, surtout si Nyima se plaît dans sa nouvelle communauté et y gravit des échelons hiérarchiques, il est probable que viennent le rejoindre des "compatriotes" qui, forcément, demeureront dans les mêmes unité et section que lui.

Ganden et gelugpa


Par ancienneté, les abbés retirés de Gyudmed deviennent ensuite Jangtse Chöje (Byang-rtse chos-rje), "supérieurs du collège de Jangtse, c'est-à-dire successeurs de Gyaltshab Je, et ceux de Gyutö Datsang Sharpa Chöje (Shar-pa chos-rje), "supérieurs de Shartse ", et successeurs de Khedrub Je. Enfin, ils accèdent en alternance au Trône de Ganden, en principe pour six années.

Les trois hiérarques gelugpa, au Tibet, avaient coutume d'enseigner chaque année le Grand Lamrim -Lamrim Chenmo - (Toh. 5392) de Je Tsongkhapa à Ganden durant la retraite d'été.
Le cadet des deux chöje exposait le premier chapitre, concernant les pratiques communes avec les individus inférieurs (qui ne recherchent encore que les bonheurs du samsara) ; l'aîné, le deuxième chapitre, sur les pratiques communes avec les individus moyens (qui aspirent à se libérer du samsara).
Le Ganden Tripa avait la responsabilité du troisième chapitre consacré aux pratiques spécifiques aux individus supérieurs, déterminés à obtenir au plus vite l'état de Bouddha pour accomplir le bien de tous les êtres exposés à la souffrance.

jeudi 13 décembre 2007

Je Tsongkhapa et la Règle

Je Tsongkhapa a accompli un travail considérable, recherchant minutieusement non pas une mais plusieurs références sanskrites pour étayer ses commentaires.

Il s'est par ailleurs évertué à rétablir (régénérer plutôt) l'observance du vinaya, citant à nouveau maints tantra pour démontrer la nécessaire corrélation entre vinaya et mantrayāna.

Lui-même et ses disciples se sont vêtus d'habits conformes à la règle, et se sont procuré les objets prescrits comme le bol à aumônes (lhung-bzed, pindapatra) ou le tapis de sol (gding-ba, pratyastarana).

Notons incidemment que ce bon exemple a mis du temps à fructifier, du moins dans les provinces lointaines, car Jamyang Jigmed Wangpo rapporte que l'un des éléments qui aurait déterminé Jamyang Zhepa Ngagwang Tsöndru (1728-1791) à quitter l'Amdo pour le Tibet central, fut la vue d'une représentation de moines du Centre, à la vêture réglementaire qui contrastait avec les religieux de sa région habillés à la chinoise, avec d'amples manches. Il aurait été submergé par la foi et aurait décidé de se rendre au plus vite là où se trouvait visiblement la tradition pure.

Pour revenir à Je Tsongkhapa, il ne faisait au fond que reprendre et poursuivre la mission d'Atīsha, laquelle avait été entreprise à la demande pressante de notables tibétains comme le roi Yeshes Ö ou son neveu Jangchub Ö. Ici aussi Je Tsongkhapa s'en est scrupuleusement tenu à l'ordre établi par ses prédécesseurs, en l'occurrence par Shantarakshita qui, au VIIIème siècle, introduisit le système mulasarvastivada.
Jusquà très récemment, celui-ci ne fut jamais remis en question en société tibétaine, même par Atīsha qui pourtant aurait été tenté de lui substituer, ou au moins de lui ajouter, sa propre lignée mahasanghika . Il en aurait été dissuadé par Dromtönpa :
"Atīsha ! Je vous supplie de n'en rien faire. Ce système ne convient nullement au Tibet. La raison en est que jadis le Roi de la Loi Thrisong Detsän invita le grand Pandit Bodhisattva et le pria d'établir l'Enseignement du Victorieux. Le grand Pandit Bodhisattva ordonna sept personnes, dont Ba Yeshes Wangpo, et les établit dans les règles du vinaya. Eux, Sitôt devenus moines, obtinrent les clairvoyances, les pouvoirs "supra-normaux", la connaissance du Tripitaka. Puis la communauté monastique s'est peu à peu agrandie. La lignée de l'Abbé étant celle du mulasarvastivada vinaya, le Roi Thrisong Detsän ordonna :
"Dorénavant, au Tibet, on n'observera que le mulasarvastivada vinaya, selon la lignée du grand Abbé Bodhisattva, et personne n'aura le droit d'introduire une autre tradition. En ce qui concerne les vues, on maintiendra celles de Nāgārjuna et de ses disciples, et aucune autre. Veuillez vous conformer à cela ."

Au delà des dogmes

" Ce qui fut se refait ;
Tout coule comme une eau, et rien dessous le ciel ne se voit de nouveau ;
Mais la forme se change en une autre nouvelle.
Et ce changement-là, Vivre, au monde s’appelle,
Et Mourir quand la forme en une autre s’en va. "

Pierre de Ronsard

mercredi 12 décembre 2007

"Crimes et châtiments"

Gyudmed Datsang est sans doute le seul monastère tibétain qui ait banni les châtiments corporels de son éventail de peines. Les deux collèges qui suivent presque exactement son modèle, Gyutö et Dagpo Datsang, s'en écartent sur ce point.

En fait, la finalité n'est pas ici de châtier un coupable mais d'aider quelqu'un dans l'erreur à surmonter des obstables, en lui permettant notamment de purifier les empreintes négatives qu'il aurait engrangées. En fait de punitions, ce sont plutôt des pratiques qu'on lui propose : prosternations, mémorisation et récitation de textes supplémentaires - qui lui sont personnellement adaptés, - ou encore travail au service de la communauté (cuisine, ménage) etc..

D'un autre côté, comme chacun est censé avoir le sens des responsabilités, si un moine refuse de s'amender et néglige de présenter des excuses alors que le maître de discipline a déjà évoqué par deux fois sa méconduite lors des assemblées , la troisième admonestation équivaut à un avis d'expulsion. Quelques fautes graves entraînent le renvoi immédiat : le vol, le pugilat ou encore des rapports sexuels avec une femme (qui, du reste, font perdre les vœux de moine).

Pour réprimer les fautes légères, certains dirigeants innovent et font preuve d'imagination. Chez les Tibétains, les lampes à beurre sont d'usage courant, et de ce fait les anecdotes abondent à leur sujet.

L'une d'entre elles concerne Serkong Rinpoche Ngawang Gedun, deuxième fils de Serkong Dorjechang (réincarnation du 81ème Ganden Tripa , Ngagwang Norbu) - Serkong Dorjechang fut un très grand maître gelugpa, réputé pour avoir atteint les plus hautes réalisations des tantra. Il avait pourtant été vivement critiqué lorsqu'il avait décidé de revenir à l'état laïque et de prendre femme après avoir achevé ses études des sūtra et des tantra. Lui dont on disait qu'il était une émanation de Marpa eut un fils reconnu comme tulkou (sprul-sku), et considéré comme la réincarnation de Darma Dode - le fils trop tôt disparu de Marpa. La famille s'était reconstituée à huit siècles d'intervalle...

Toujours est-il que Serkong Rinpoche fils entra également à Gyudmed, et lorsqu'il en devint maître de discipline, il se forgea la réputation d'être d'une sévérité extrême. Les jeunes moines sont souvent, comme n'importe quels jeunes gens, un peu dissipés, voire turbulents. L'un d'eux ne cessait de regarder autour de lui pendant les cérémonies si bien que, pour l'obliger à se calmer, Serkong Rinpoche lui posa sur la tête une lampe à beurre un long moment, le prévenant que si la lampe tombait, il l'exclurait du collège. Le malheureux eut bien de la peine à demeurer parfaitement immobile car ses camarades l'interpellaient et lui adressaient des grimaces... Mais il réussit à tenir bon.

En bon Tibétain, Serkong Rinpoche ne manquait pas d'humour. Parmi les jeunes moines, il s'en trouvait un avec lequel il entretenait des relations amicales mais qui avait la fâcheuse hatibude de critiquer tout le monde. Or, un jour d'hiver durant le mandat de Serkong Rinpoche, celui-ci s'aperçut au cours d'une inspection que les bottes de son jeune camarade n'étaient pas réglementaires. Le lacet les fermant conservait ses fils décoratifs des deux côtés alors que les moines de Gyudmed doivent les couper à l'une des extrémités.
Serkong Rinpoche apposa donc de la tsampa (farine d'orge précuite) sur les fils incriminés, convention indiquant au contrevenant qu'il doit présenter des excuses au maître de discipline, lequel lui infligera une sanction. Mais en voyant la marque sur ses bottes, le garçon se contenta de s'écrier : "Ca, c'est un coup de Serkong", aggravant encore son cas par une impolitesse désinvolte.
En guise de pénitence, le maître de discipline l'assigna le lendemain à souffler dans une trompe (dung), ce qui suscita l'hilarité générale car, en tibétain, on dit des mauvaises langues qu'ils "soufflent dans la trompe".

Notons à ce propos qu'au collège de Gyudmed, n'importe qui peut "jouer" de la trompe car il faut juste souffler dedans, mais surtout pas chercher à en tirer des sons musicaux. Le faire constitue même une faute susceptible de renvoi.

Il y eut ainsi autrefois un moine ritualiste qui jouait trop bien du tambour, au point qu'il fut expulsé ! Il se fit alors admettre à Sera (la discipline de Gyudmed est telle qu'en être chassé n'est pas forcément déshonorant) et là se mit à l'étude de la philosophie au point de devenir un grand érudit. Plus tard, il disait que personne n'avait autant fait pour lui que l'inflexible maître de discipline de Gyudmed qui l'avait banni !

Des apparences

Selon le bouddhisme, le mode de perception est proportionnel au niveau spirituel atteint.

Chacun connaît l'exemple classique du liquide perçu par le preta comme du pus, par l'humain comme de l'eau et par le deva comme du nectar. Il s'ensuit que les qualités de quelqu'un ne sont visibles que pour ses égaux ou ses supérieurs. A ceux qui se trouvent à un degré d'évolution inférieur, elles n'apparaissent que partiellement, ou pas du tout : l'infortuné Devadatta ne voyait que des défauts en la personne du Bouddha Shākyamuni. Autrement dit, tant que l'on n'est pas soi-même bouddha, on n'a aucune certitude sur la personnalité réelle des autres.

La prudence alliée à bien d'autres raisons, dont la gratitude, l'amour, etc., recommande par conséquent de respecter tout être, quelle que soit l'impression qu'il nous donne.

Ouverture et tolérance, S.V.P.

L'un des premiers principes du bouddhisme est de constater et d'admettre les besoins, tendances et capacités variés à l'infini des êtres du monde.

Il s'ensuit qu'une seule et unique philosophie (ou religion) ne pourrait suffire, et que de nombreuses voies sont au contraire indispensables. Chacune apportant aide et espoir à des groupes spécifiques, elles sont par conséquent toutes utiles et estimables, mais certainement pas égales. Sans doute est-il absurde d'imposer des cours identiques à des enfants surdoués et retardés ; il serait pareillement stérile d'exiger de criminels, ou plus simplement d'êtres ordinaires, une spiritualité et une morale dignes des mystiques et des saints.

A qui ne peut totalement se passer d'excitants, il vaut mieux laisser le vin et la bière, et ne prohiber que les drogues. Pour qui ne peut s'empêcher de tuer, il vaut mieux tolérer la pêche ou la chasse, mais proscrire l'homicide, etc. Par conséquent, le bouddhisme prône et offre une pluralité des itinéraires : petit et grand véhicules, sutra et tantra, quatre classes de tantra, quatre systèmes philosophiques, etc.

lundi 10 décembre 2007

Le "tapis" monastique

Le tapis, gding-ba ou bzhugs-gding (terme honorifique), est l'un des éléments de l'équipement monastique obligatoire.

Sa première finalité est de protéger les biens collectifs. A Gyudmed Datsang et à Dagpo Datsang, il est de grande dimension, 1,90 m x 1,90 m : comme les moines de ces collèges (au Tibet) sont la plupart du temps astreints à dormir ensemble dans le temple, il leur faut un peu d'espace. En outre, leur tapis leur sert d'armoire : ils glissent dessous leurs effets personnels, par exemple l'argent distribué par les donateurs. Aucun risque de vol : seul son propriétaire a le droit de toucher à son gding-ba. Le maître de discipline ou ses assitants peuvent le déplacer mais uniquement au tout début des sessions, juste après l'installation. Quand on met le gding-ba sur un siège (trône, etc.), on le plie en quatre. Un moine de Gyudmed se doit d'"installer son tapis" (gding-rgyab) là où il va dormir la nuit, même si ce n'est que pour trois ou quatre heures.

En Inde, de nos jours, les moines ne dorment plus dans le temple mais dans des bâtiments construits autour. Ils conservent cependant leur grand tapis, caractéristique des collèges tantriques et de Dagpo Datsang.

vendredi 7 décembre 2007

Et le Vietnam ?

Je n'ai guère de connaissance à propos du Vietnam. Aussi ai-je demandé au Professeur Phan Van Song la permission de reproduire le texte de l'allocution qu'il a prononcée à Rennes, le mardi 25 novembre, lors d'une soirée axée sur le thème "Birmanie Bouddhisme et démocratie".

Né dans une famille vietnamienne boudhiste, le Professeur Phan a fait le choix de devenir chrétien, et plus exactement protestant. J'ajoute cette précision car à titre personnel, j'en apprécie d'autant plus la façon dont il évoque l'implantation et l'influence du bouddhisme dans son pays d'origine - où il n'a toujours pas la possibilité de retourner.

(* Dans le texte qui suit, le terme "secte" est employé au sens étymologique d'école de pensée, sans la récente connotation négative)

* * *

VIETNAM : BOUDDHISME ET DEMOCRATIE

Mesdames, Mesdemoiselles, messieurs,

Parler du bouddhisme pour un chrétien est une gageure.
Parler du bouddhisme pour un Vietnamien, c'est un devoir, c'est aussi se présenter, c'est parler de sa culture, de son patrimoine.
Parler de la démocratie pour un juriste occidentalisé d'origine vietnamienne est une nécessité par, hélas, les évènements de l'actualité. La démocratie pour les pays émergents, pour une grande partie du monde est l'Arlésienne. On en parle beaucoup, on en rêve, on se bat pour elle, on en meurt pour elle. Mais personne ne la voit.
Associer bouddhisme et démocratie est un très grand sujet. Je me limiterai à le traiter dans le cadre de mon pays d'origine, le Vietnam. Je ne traiterai pas la partie théologique ou philosophique ; je me contenterai d'analyser son apport non-intpolitique et social.
Pour cela, un peu d'histoire :

En effet, le bouddhisme accompagnait déjà dès ses premiers pas la naissance de la nation vietnamienne.
Il est venu avec les occupations chinoises, occupations longues de mille ans (de l'an 111 avant JC jusqu'à l'an 939).
Si les résistances des rois vietnamiens aux ambitions du voisin du nord (la Chine) consolidaient la nation viêt, le bouddhisme façonnait son peuple.

L'influence de la Chine avec ces mille ans d'occupation et les soubresauts de résistances du peuple viêt, a été analogue à celle de Rome en Gaule. Malgré l'empreinte chinoise, le peuple viêt a su garder toujours sa langue et son identité culturelle.
L'administration chinoise, en devant directe, augmenta sa rigueur. Par exemple, l'instruction des autochtones n'était pas très développée. Même les quelques lettrés autochtones, tout en apprenant l'écriture chinoise, les textes chinois, continuaient à les prononcer à la vietnamienne, n'ayant pas eu accès aux fonctions élevées. Cela démontre aussi cette volonté d'indépendance du peuple viêt.
A partir de l'ère chrétienne, furent diffusés au Giao (nom chinois pour désigner ce terrotoire qui est devenu ensuite le Vietnam) deux grands courants de la pensée chinoise : le confucianisme et le taoïsme, sur lesquels il convient d'ouvrir une petite parenthèse. C'est sur la base formée par ces deux courants de pensée que s'est plaquée toute la philosophie bouddhiste vietnamienne.

L'enseignement de Confucius (-551 -479) est contenu dans Quatre Livres. Elle se présente avant tout comme une morale civique et sociale, une doctrine de gouvernement et d'action. L'idéal confucéen est le Sage : du fils du Ciel à l'homme le plus humble, chacun doit "se cultiver". C'est un travail de perfectionnement personnel. Le Sage donc, qui sait se conduire conformément à la Raison, sera par là même capable de gouverner sa famille et d'administrer l'état. Et chacun doit respecter sa place : il faut que le prince agisse en prince, que le père agisse en père, et le fils en fils. Ce qui institue le conformisme, l'obéissance et la soumission aux supérieurs et aux vieillards ; ainsi l'ordre sera-t-il assuré.
Mencius, son disciple, (-372 -289) exprime l'aspect idéaliste de la doctrine : si le devoir du prince est de veiller sur les conditions de vie générales, de répandre l'éducation et l'instruction, c'est du consentement populaire que dépend le maintien des gouvernements. C'est pourquoi lorsque le prince faillit à sa mission, le peuple assume le droit à la révolte.
N'est-ce pas là une principe de la démocratie ? Le confucianisme exige d'un côté, le respect de la tradition, de la hiérarchie, de la famille, d l'ordre "féodal" : le prince, le maître, le ère, certes ; mais présente de l'autre côté, la démocratie, la "vox populi", le droit légitime de la révolte contre le mauvais prince.

Le Taoïsme par contre exprime l'attitude mystique, métaphysique, à la recherche de la félicité individuelle. Du Dao (la voie), substance cosmique primordiale, l'Un, l'Unique, sont sortis les deux principes, passif et actif, femelle et mâle, le yin et le yang. Leur alternance perpétuelle régit le monde. C'est la circonvolution universelle. Mais l'essence de la doctrine est la non-intervention de l'homme, le Wuwei ; le Sage se libère du présent et du passé et s'unit au Cosmos. Il faut suivre et laisser faire la Nature. Cette haute pensée dégénère en une interprétation métaphysique : L'immortalité devient la quête suprême, sorcellerie et magie deviennent partie intégrante de la religion.
Mais, par ces aspects, le Taoïsme se rapproche des nombreux cultes populaires vietnamiens, avec lesquels il se mélangera, notamment le Culte des Esprits (Ciel, Terre et Eaux) dont les prêtres sont des médiums, hommes et surtout femmes (les dong cot).
C'est pourquoi, si le Confucianisme reste confiné chez les administrateurs et les lettrés, le Taoïsme se diffusera chez le peuple.
Et plus que le Confucianisme et le Taoïsme, le Bouddhisme, qui arriva un peu plus tard, au 2ème siècle, avec l'expansion indienne, a connu, dès son introduction, une diffusion immense auprès d'une population encore primitive, grâce à son climat de tendresse, à la consolation de sa morale et aux merveilles légendes de ses bodhisattvas.

Le Bouddhisme : L'extension de l'influence indienne en Indochine orientale est en effet le fait marquant du 2ème siècle. L'Inde partait donc conquérir l'est. Son expansion, qui commença aux environs de l'ère chrétienne et qui porta les religions indiennes et l'usage du sanskrit jusqu'à Bornéo, Bali en passant par le Giao chau, eut pour moteur essentiel la quête de l'or et des épices. Et aussi, elle put réussir grâce à deux faits marquants : le développement des jonques de haute mer pouvant porter jusqu'à six cents à sept cents hommes, et l'essor du bouddhisme qui abolissait la barrière des castes et le souci de pureté raciale. Les bouddhistes n'ayant pas de préjugés raciaux, n'ont pas eu cette peur d'être souillés au contact des castes inférieures. Les hautes jonques des marchands de mer partaient sous la protection du Bouddha Dîpankara "calmant les flots" ; elles prenaient pour leurs longs voyages des bonzes qui servaient à la fois de médecins, de prêtres et de sorciers.

Le Bouddhisme était né dans l'Inde aux 6ème – 5ème siècle avant JC, dans le royaume de Kapilavastu, aux confins du Népal. Descendant de la famille régnante, Cakyamouni rencontra la souffrance, la misère et la mort et quitta sa famille pour embrasser la vie
d'ermite. Après sept années de voyage et de recherches, il connut l'inutilité de l'ascèse, et, sous l'arbre de bodhi, à Gayâ, atteignit l'Illumination ; il était devenu le Bouddha, il avait compris la loi de la douleur universelle. Cette douleur, inhérente à la vie, est multipliée encore par la transmigration. Comment atteindre la délivrance ? Il faut parvenir à l'extinction du désir, véritable moteur du monde, pour atteindre l'état de Nirvâna.
C'est une morale de renoncement et de fraternité universelle. Elle traduisait donc les aspirations des basses classes de l'Inde, divisée en castes rigoureusement étanches et dominées par une minorité de brahmanes.
Dès sa prédication, le bouddhisme fit de rapides progrès. Une telle doctrine de charité, de douceur et de renoncement ne pouvait qu'exercer une séduction profonde sur les âmes frustres du peuple viêt, opprimés par ses maîtres étrangers et locaux, dominé par une nature hostile et qui ne trouvait aucune consolation dans la sécheresse confucéenne, morale des classes dirigeantes.

Bouddhisme et développement politique :

Sous les règnes chinois, le système des examens littéraires permet le recrutement des fonctionnaires. L'enseignement se développe donc et on assiste petit à petit, vers la fin du 8ème siècle, à la formation d'une classe intellectuelle vietnamienne. Mais son essor est freiné parce que l'administration chinoise limitait le nombre de candidats vietnamiens aux concours (que pour des postes subalternes) et aussi parce qu'elle continue, quoique faisant des études (lecture et écriture) en chinois, à parler le chinois avec la prononciation vietnamienne.
La Chine depuis les Qin (Qin Tsi Huang Di) a su standardiser l'écriture (-221 à -210) mais continue à avoir des "parlers différents" (des prononciations différentes selon les régions).
Et c'est pourquoi la partie la plus importante de l'élite vietnamienne est bouddhiste. Et ce sont des bonzes qui, au moment où le pays deviendra indépendant (10ème siècle), assisteront les princes pour la conduite des affaires publiques. Les premières influences des prêtres bouddhiques se confondaient avec les premières dynasties des rois vietnamiens : les Dinh, les Le ; son apogée est atteint sous les Ly, au 11ème siècle, avec la construction de la fameuse Pagode au pilier unique, encore visible à Hanoi actuellement (1049). Cette osmose entre cette élite intellectuelle, religieuse et les pouvoirs dans la conduite de l'état donne une sorte d'engagement des bonzes aux choses de la vie".
C'est la naissance d'un "Bouddhisme à la vietnamienne".
C'est, aussi, sous la dynastie des Ly (11ème siècle) que se pratique cette tradition de passage de pouvoir entre l'Empereur père qui passe le pouvoir à son héritiezr de son viavnt, pour aller fonder une pagode ou une secte bouddhique *.
Cette pratique se prolongeait jusqu'à la dynastie des tran (1226-1400).
En 1278, l'Empereur Tran Nhan Tong fonda la secte* de la Forêt de Bambou de Yen Tu (truc lam Yen tu) qui accentua cette tendance vietnamienne du Bouddhisme.

Bouddhisme et démocratie :

Donc, le Bouddhisme à la vietnamienne est un bouddhisme engagé :
Engagé avec les princes, lorsque les princes sont bons,
Engagé avec le peuple, lorsque les princes sont mauvais.
Le bouddhisme vietnamien appartient au courant du Grand Véhicule (Mahâyâna). Les textes sont en sanskrit. Il exhorte se disciples à devenir non des hommes méritants (arhant), comme la tendance du Petit Véhicule, mais des bodhisattvas qui portent leur perfection en secourant et en aidant les autres êtres, sans épargner leur peine ni leur vie, en retardant leur propre entrée dans le Nirvanâ jusque ce que tous les autres l'aient atteint eux-mêmes.
Donc, il demande à ses pratiquants plus d'engagement dans le monde. Les églises bouddhiques vietnamiennes, les pagodes, sont traditionnellement indépendantes les unes des autres. Elles sont souvent autonomes et chacune vit avec son environnement, son village, ses pratiquants. Par cet aspect, les bonzes, les pratiquants, se sont toujours engagés dans "le monde". Par tradition, durant toute son histoire, le Vietnam a toujours vu les bonzes à côté des résistants, résistants contre les invasions, résistants contre les dictatures… à côté des faibles, à côté de son peuple ; c'est un bouddhisme patriotique.

De tout temps, les pouvoirs se sont toujours méfiés de l'église bouddhique vietnamienne. Nous avons encore en mémoire le renversement du régime Ngo Dinh Diem (1955-1964) : l'image du bonze Quang Duc s'immolant par le feu a fait le tour du monde, bien que les bonzes, à l'époque, se soient trompés de combat. Mais le Vénérable Quang Duc est devenu pour les bouddhistes un bodhisattva, car son cœur retrouvé intact dans la fournaise est devenu Xa loi, une sainte relique.

Actuellement, l'Eglise bouddhique unifiée du Vietnam est interdite par le gouvernement de la dictature du Parti Communiste Vietnamien ; ses deux principaux dirigeants, les Vénérable Huyen Quang et Quang Do, sont assignés à la résidence surveillée. Seule l'église bouddhique organisée par l'état est autorisée. L'état vietnamien, lui-même, vient de recruter 2000 candidats (octobre 2007) pour être des "bonzes d'Etat".
Mais on voit aussi des bonzes à côté des personnes qui manifestent pour réclamer plus de justice dans le règlement d leurs terres confisquées par des organismes d'état. On voit aussi la présence de bonzes à côté des activistes demandant le respect des droits de l'homme au Vietnam (liberté de culte, liberté de presse, liberté d'opinion…) ou demandant de la démocratie (pluralisme des partis, vote démocratique, droit de présentation…).
Bientôt, les deux avocats combattant pour la démocratie Nguyen Van Dai et Le Thi Cong Nhan, arrêtés depuis l'an dernier, vont être jugés.
Avec la mondialisation, des entreprises américaines, européennes arrivent au Vietnam, profitant de la dictature du PCV pour exploiter les travailleurs vietnamiens dans des conditions indignes pour des pays civilisés et démocratiques : petits salaires, mauvaise protection des conditions de travail des femmes et des enfants, pas de protections sociales ni caisses de retraites…
Dans le Vietnam actuel, les églises sont contrôlées; toutes, qu'elles soient catholique, bouddhique, protestante, Hoahoa, Caodai ou islamique ! Elles sont toutes enregistrées comme emmbres de la section religieuse du front patriotique, organe du PCV.

Mais, on voit aussi, par contre, des religieux, des prêtres à côté du peuple :
Le prêtre catholique Nguyen Van Ly est actuellement en prison pour la liberté de culte ; les prêtres catholiques Phan Van Loi, Nguyen Huu Giai sont sous contrôle judiciaire ;
Les Révérends protestants Nguyen Hong Quang et Nguyen Cong Chinh sont en résidence surveillée, leurs temples sous surveillance.
Les 6 pasteurs mennonites montagnards des Hauts Plateaux, arrêtés et libérés dernièrement sous la pression internationale, sont actuellement sous contrôle judiciaire,
Des pratiquants Hoa Hao et Cao Dai sont encore en prison.

Le bouddhisme vietnamien s'engageant dans cette défense de la démocratie perpétue donc cette tradition des églises engagées, du bouddhisme populaire, de la religion populaire, patriotique, avec son peuple, depuis les dynasties des Ly et des Tran depuis l'aube de la nation viêt./.

Merci !
Le 21 XI 2007
Dr Phan Van Song

mercredi 5 décembre 2007

Prières et mélodies

Dans le bouddhisme, comme dans les autres religions, les textes et "prières" sont psalmodiés ou même chantés.

Chaque monastère tibétain a ainsi des mélodies qui lui sont propres. Elles ne sont pas des "créations artificielles" mais sont l'oeuvre d'un maître, d'un méditant, qui a entonné un chant lors d'une intense expérience spirituelles. Si le célèbre yogi Jetsun Milarepa a laissé des dizaines et des dizaines de chants mystiques qui sont très connus (des initiés), il est loin d'être le seul à avoir témoigné ou enseigné de cette manière.

Voilà pourquoi les maîtres insistent tant sur la nécessité de conserver et de transmettre les mélodies avec une scrupuleuse fidélité : si elles demeurent pures et authentiques, elles véhiculent la bénédiction de leur auteur, et au fond de tous les Bouddhas.

Pour prendre un exemple, les mélodies de Dagpo Datsang (tant appréciées de Sa Sainteté le 14ème Dalaï Lama) viennent du 2ème Dalaï Lama, Gedun Gyatso, auquel on doit aussi les mélodies de deux autres monastères des environs : Chökhor Gyäl et Ngari Datsang. Gedun Gyatso fut en effet successivement abbé des trois communautés.

Dagpo Rinpoche nous expliquait encore l'autre jour qu'en fonction de l'âge du 2ème Dalaï Lama quand il dirigea les collèges, les tonalités varient notablement. Cela va de lignes très graves et très allongées à Chökhor Gyäl, où Gedun Gyatso résida dans sa jeunesse, à des lignes très aigües et même écourtées (la fin des vers n'est pas prononcée, faute de souffle) à Ngari Datsang où il termina sa vie. Son séjour à Datsang Datsang se situant entre ces deux époques, les mélodies du collège sont également intermédiaires. Le juste milieu, en quelque sorte...

mardi 4 décembre 2007

Lochen Rinpoche



Lochen Rinpoche, ici en compagnie des jeunes Namkay et Drimed (cf "Un enfant pas ordinaire" le 6.9.07) est l'un des lama de Dagpo Datsang.
Quand on le voit épanoui et rayonnant, on n'imagine pas que sa vie ait été dure, parsemée d'épreuves terribles. Et pourtant !

Comme il me disait, avec un grand sourire, au mois d'août, "il a eu cette vie-ci complètement gâchée, car il a été privé de liberté durant toutes les années où on jouit de capacités optimales".
C'est qu'il n'avait que 15, 16 ans en 1959. Et son statut "priviligié" de lama lui a valu aussitôt d'être astreint au travail forcé, jusqu'en 1987. C'est ainsi qu'après avoir risqué bien des fois sa vie en construisant des routes dans des conditions extrêmes, l'ex-premier de classe au collège philosophique s'est reconverti en habile menuisier, un brin architecte.

Au moins, les compétences acquises en captivité auront été utiles à la communauté, puisque c'est Lochen Rinpoche qui a dirigé les travaux de constructions des nouveaux locaux de Dagpo Datsang à Kais, dans la vallée de Kullu. En mettant la main à la pâte.

Cet été, lors des Enseignements de Dagpo Rinpoche à Kais, chaque jour un Indien lépreux montait et descendait les escaliers ô combien péniblement, à quatre pattes, en se traînant sur ses moignons. Lochen Rinpoche nous l'a présenté : c'est chez ce lépreux que lui-même et ses deux ou trois compagnons avaient logé durant trois mois à leur arrivée à Kais, quand le terrain était encore nu de la moindre construction. Cela leur avait donné le temps de signer papiers et documents, et de monter une petite cabane au sol en terre battue, où ils avaient passé l'hiver suivant - pour ne pas continuellement patauger dans la boue, ils avaient étalé quelques feuilles de
plastique en guise de lino. Quant à un quelconque chauffage, c'était hors de question...

Oui, Lochen Rinpoche fait honneur à son lointain prédécesseur, le grand yogi Lorepa (1187-1250), connu pour sa pratique diligente, son complet détachement, son infinie générosité et sa grande compassion. Bref, pour son Esprit d'Eveil.

Je Tsongkhapa



Aujoud'hui, c'est le 25ème jour du 10ème mois lunaire. C'est aussi ce que les Tibétains appellent Ganden Namchö, la commémoration du paranirvana de Je Rinpoche, fondateur du monastère Ganden et de l'école gelugpa.

Que ce soit au Tibet ou en Mongolie, autrefois, tout le monde faisait force offrandes ce jour là, avec des lumières allumées partout. Pas seulement les gelugpa. Les autres bouddhistes, et même les non-bouddhistes. C'est au point que les Mongols avaient retenu cette date comme Jour de l'An ! Et tous de se congratuler, et de se souhaiter "Joyeux Anniversaire", car il n'était pas coutume de noter les jours de naissance des uns et des autres : tout le monde prenait une année de plus en même temps.

Que signifie littéralement "Ganden Namchö" ?
- Ganden,"doté de joie", est l'équivalent du mot sanskrit Tushita - le nom de la Terre Pure du Bouddha Maitreya.
- le mot qu'on prononce "nam" s'écrit en réalité lnga et signifie "cinq". Mais ici c'est la contraction de nye lnga, "vingt-cinq". Bref, cela indique la date, le 25ème jour.
- "chö" (mchod) signifie "célébrer" ou encore "offrandes".
"Ganden Namchö" veut donc dire "Offrandes du 25ème jour de/à Ganden".

samedi 1 décembre 2007

Une affaire de famille

Au Tibet, le bouddhisme a fait l'objet de deux diffusions, entrecoupées d'une sombre période de persécution déclenchée par les ministres de roi Langdarma.

Entre autres personnages clefs de la première période, il y eut le moine du Zahor (Bengale), le fameux Shantarakshita, qui fut invité pour fonder le premier monastère, Samyè, et procéder aux premières ordinations. C'est donc lui qui établit au Tibet sa lignée de Vinaya - Mulasarvastivada - ainsi que son système philosophique : Madhyamika (et plus précisément svatantrika).

Mais à son arrivée, Shantarakshita avait rencontré bien des obstacles. Des obstacles tellement puissants qu'il avait préféré momentanément repartir, après avoir expliqué au roi que le seul capable de dompter les démons locaux était le grand Padmasambhva, son "beau-frère", si j'ose dire. Car saviez-vous que l'une des parèdres attitrées de Guru Rinpoche n'était autre que la soeur de Shantarakshita ?

Plusieurs décennies s'écoulent, et en ce début du XIème siècle, dans le Centre du Tibet, le bouddhisme est en piètre état jusqu'à l'arrivée de l'éminent Pandit Atisha Dipamkara. Le détail amusant est qu'Atisha est issu ... de la famille princière du Zahor, tout comme Shantarakshita, dont il vient consolider l'oeuvre.

De la théorie à la pratique

Dans un monastère du Pays des neiges, Geshe Dorje, dont le crâne brillant inspire bien souvent les moinillons si moqueurs, a aussi pour élève un certain Dawa, dont la ferveur est immense. Aussi lui délivre-t-il une précieuse instruction de méditation, sûr qu'elle sera appliquée :
"Quoi que tu t'apprêtes à faire, commence par visualiser ton Maître sur le sommet de ta tête. Invoque-le et demande-lui sa bénédiction. Pense avec conviction qu'il te l'accorde avec plaisir. Et tu verras, tout ce que tu feras sera couronnée de succès."

Dawa se met à l'ouvrage, avec ardeur, mais rencontre un écueil de taille qu'il n'arrive pas à surmonter seul. Il revient donc voir son Maître et lui expose son épineux problème :
"J'ai beau faire de mon mieux, je n'y arrive pas. Dès que je me visualise sur votre tête, je glisse ! Je ne parviens pas à me stabiliser..."

Il avait tout simplement compris de travers.

La plupart des professeurs auraient vitupéré, ou se seraient moqué du benêt. Mais pas Geshe Dorje.
Au contraire, il fait mine de réfléchir puis suggère gentiment : "Ecoute, si ça ne marche pas comme ça, essaie donc de faire le contraire, en me mettant sur le sommet de ta tête. Fais l'essai, et reviens de me dire si ça va mieux."

Et bientôt, tout heureux, Dawa vient lui faire l'offrande de réalisations qu'il a pu obtenir. Grâce à sa foi. Grâce à sa persévérance.

Birmanie (videos)

Déjà, la Birmanie est oubliée. On n'en parle plus, ou si peu.

Ce mardi, le 27 novembre, j'ai quand même pu participer à Rennes à une soirée consacrée à "Birmanie - Bouddhisme et démocratie". Une centaine de personnes se sont déplacées pour écouter les quatre orateurs : un moine cambodgien, un juriste vietnamien (naguère extirpé de prison par Amnesty International après quatre ans d'internement) , un représentant justement d'Amnesty International, et moi-même - qui représentais l'UBF, mais aussi un peu le Tibet. Autrement dit, à part moi, les intervenants savaient vraiment de quoi ils parlaient... Et le témoignage du Docteur Phan, notamment, fut très émouvant.

Pour nous aider à maintenir notre attention en éveil, voici des videos gracieusement réalisées par David et Violette le 6 octobre à la Pagode de Vincennes, lors du rassemblement de prière organisé par l'U.B.F. : trois cents personnes, bouddhistes et non-bouddhistes, réunies pour prier ensemble pour la paix en Birmanie, ou ailleurs. Sachant que tant que l'on n'instaure pas la paix en soi, toute tentative pour établir la paix à l'extérieur ne peut guère être couronnée de succès...

mobilisation pour la paix en Birmanie

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dimanche 25 novembre 2007

Progrès ou déclin ?

Ce matin, F2 a diffusé un reportage réalisé lors du Congrès de Hambourg, en juillet dernier.

Mon inquiétude est grande.

Si je me trompe, tant mieux, car j'ai l'impression que des personnes très sympathiques et manifestement pleines de bonne volonté mettent (sans le vouloir) l'Enseignement du Bouddha en péril, sous le prétexte de "faire progresser les droits des femmes, et tout particulièrement des nonnes, dans le boudhisme".

J'avoue que cela me semble déplacé ! Paradoxal aussi.

A ce que j'ai cru comprendre, le Bouddha n'a jamais refusé d'enseigner à une femme du fait de son statut de femme, et si certaines lignées n'existent plus aujourd'hui, ce n'est pas dû à des mesures délibérément hostiles aux femmes. Il y a, malheureusement, nombre de lignées qui ont disparu au fil des siècles, notamment suite aux invasions musulmanes en Inde. Cela lèse tous les bouddhistes. Les hommes aussi.

Quand j'ai lu des articles à propos du Congrès, ou quand j'ai entendu les interviews ce matin, j'avoue que j'ai ressenti un certain malaise.

Je ressens donc le besoin de remettre à l'ordre du jour La Lettre ouverte que j'ai adressée à mes consoeurs en juillet, un peu avant le Congrès. Je n'ai pas obtenu de réponse... à ce jour, tout au moins.

Pour aujourd'hui, je m'en tiendrai là. Mais à l'occasion, j'essaierai de reprendre certains points essentiels.

A titre d'exemple (fondamental), dans le bouddhisme, "entrer dans les ordres" se dit "quitter le monde", "quitter la maison". Aussi, quand j'entends revendiquer un statut social, ou une reconnaissance de la part de la société, ou des titres pour s'imposer, eh bien, je m'interroge ! Ou quand il est affirmé que devenir bhikshuni serait un grand progrès pour les femmes car cela renforcerait "leur assurance et leur amour-propre" (sic), je me demande ce qu'on a fait du renoncement au monde, base nécessaire pour les moines et moniales bouddhistes, à ce qu'en disent les soutras...

* * *

Vénérables et Très Chères Sœurs,

Dans quelques jours, le premier Congrès International concernant le rôle des femmes dans le Bouddhisme se tiendra à Hambourg, en présence de Sa Sainteté le XIVème Dalaï Lama. Je remercie vivement les organisatrices et leurs aides d'avoir mis sur pied cet événement exceptionnel.

A mon très grand regret, je ne pourrai y participer, car j'ai des obligations ailleurs et surtout je me bute au handicap de la langue : d'origine française, je ne comprends guère l'anglais à l'oral, et j'ai oublié les rudiments d'allemand engrangés au lycée. Je me sens pourtant concernée de fort près par les thèmes annoncés. Pour être franche, je déplore que le tibétain ne soit pas l'une des langues de travail : les Tibétaines ne sont-elles pas les premières impliquées dans le projet qui constitue la trame du Congrès ? Elles dont le courage n'a d'égal que la détermination et l'intelligence (cf Ngawang Sangdol et ses compagnes) pourraient certainement enrichir le débat.

Depuis quinze à vingt ans, je suis de loin les efforts déployés par des pratiquantes engagées et dévouées qui ne ménagent pas leur peine au service de tous les êtres en souffrance et tout particulièrement des femmes bouddhistes. De mon côté, consciente de ma profonde ignorance et de mon inexpérience, je n'ai rien à apporter, rien à proposer, sinon l'expression de mes attentes, de mes interrogations ou encore de mes doutes.

Après avoir longuement hésité, je me résous à rédiger ces quelques lignes. En effet, il m'est apparu que la démocratie, qui caractérise tant l'Enseignement du Buddha que les sociétés occidentales dans lesquelles nous avons le privilège de vivre, nous octroie non pas le droit mais bien le devoir de participer de notre mieux aux projets collectifs, ne serait-ce qu'en donnant notre opinion, sans bien sûr chercher à l'imposer. C'est donc ce que je vais tenter de faire. Je sollicite votre bienveillante indulgence car je ne peux qu'exposer mon ressenti personnel, par définition subjectif, et les erreurs qui vont immanquablement émailler ma prose vont soumettre votre patience à rude épreuve. Je vous en demande pardon.

Pour me présenter, issue d'une famille très catholique et très tolérante, dès ma prime enfance j'ai entendu parler du bouddhisme et de ses principes fondamentaux, à commencer par la loi de causalité et l'éthique. C'est donc tout naturellement qu'en 1974 j'ai officialisé mon engagement bouddhiste en prenant refuge en les Trois Joyaux – Buddha (le Guide), Dharma (l'Enseignement et surtout les qualités qui procèdent de sa mise en œuvre), Sangha (les exemplaires compagnons sur la voie spirituelle), puis en devenant upâsikâ (yongs rdzogs dge bsnyen). Parmi les incommensurables qualités des Buddha, je suis particulièrement touchée par "l'activité spontanée" : dès lors qu'un être est mûr, les Buddha apparaissent sous la forme voulue pour lui accorder l'aide voulue.

Ayant eu la chance d'étudier le japonais et le tibétain, depuis plus de trente ans j'ai reçu de précieux enseignements auprès de nombreux Maîtres, dont Sa Sainteté le Dalaï Lama et Gyalwa Karmapa, le 16ème du titre. Je me rattache donc à l'école dge lugs pa tout en ayant le plus profond respect pour les autres lignées, du Tibet comme des autres pays bouddhistes. Si à ce jour je n'ai guère accompli de progrès, je ne peux vraiment m'en prendre qu'à moi-même, car dans leur infinie mansuétude, mes Maîtres m'ont dispensé d'innombrables enseignements, y compris dans le domaine philosophique et même dialectique. Ma seule "excuse" est que la voie bouddhiste est pour le moins ardue : fondée sur le renoncement - d'abord à cette vie, puis au samsâra, enfin à l'intérêt personnel-, elle concourt bien plus au dépouillement de soi qu'à l'accomplissement de soi… Je suis loin d'y parvenir.

A titre personnel, au sein de la société bouddhiste tibétaine, je n'ai jamais eu le sentiment d'être mise à l'écart du fait de mon identité féminine. Quand, le 15 avril 1997, j'ai enfin pu concrétiser mon souhait "d'abandonner le monde", comme on dit, j'ai reçu avec joie l'ordination de shramanerikâ (dge tshul ma) en sachant que pour des raisons historiques la lignée tibétaine du bouddhisme ne me permettrait pas d'obtenir l'ordination supérieure de bhikshunî (dge slong ma). Je l'ai d'autant moins ressenti comme une injustice que la féministe que je suis apprécie énormément l'extraordinaire ouverture de l'Enseignement du Buddha à l'égard de la gent féminine. Ensuite, ce que les hommes en ont fait ici et là au fil de 26 siècles, cela ne vient que d'eux (et de leur culture), et non du Buddha – à mon humble avis. De toute façon, les innombrables laïcs qui ont atteint les plus hautes réalisations ont magnifiquement démontré que si le support de l'ordination monastique supérieure est excellent, il n'est en rien indispensable ni pour pratiquer ni pour enseigner. Pour ne citer que quelques exemples du Pays des Neiges, pensons au Traducteur Marpa, à son disciple Jetsun Milarepa, à Dromtonpa ou encore à trois des cinq grands Patriarches sakyapa , qui tous ont arboré un statut laïc, même s'ils étaient des bhikshu de sens ultime (don gyi dge slong). De nos jours, la tradition se perpétue avec d'éminents personnages tels que Dujom Rinpoche, Sogyal Rinpoche, Sakya Trichen ou encore Chogyam Trungpa.


Bien que je craigne de vous lasser, permettez-moi de vous livrer quelques remarques et suggestions, qui n'engagent que moi mais que j'éprouve le besoin de vous soumettre, libre à vous de n'en tenir aucun compte du fait de leur ineptie.

1. Introduction de l'ordination de bhikshunî dans la lignée tibétaine du bouddhisme :

a) L'identité tibétaine.

A la lecture du programme du Congrès ainsi que de textes ou articles rédigés par les conférenciers et conférencières annoncés (dont aucune nonne d'origine tibétaine, si j'ai bien regardé), j'ai l'impression que la demande d'instauration (et non de "réintroduction" car la tentative de Pan chen gSer mdog can pa au XVème s. n'avait guère été concluante) de l'ordination majeure en société tibétaine émane principalement sinon exclusivement d'Occidentales. Mais il est probable que je trompe : sans que j'en entende parler, il se peut que les nonnes tibétaines (et mongoles) aient été consultées - dans leur langue -, et qu'elles aient donné mandat pour faire une telle démarche auprès des autorités compétentes : ni les politiques ni les universitaires mais la communauté des bhikshu d'au moins dix ans d'ancienneté. En ce cas, tout est pour le mieux.

En revanche, si les nonnes tibétaines n'ont pas donné mandat, est-il vraiment opportun de prendre des initiatives qui risquent de perturber encore un peu plus la population tibétaine déjà si éprouvée du fait des évènements que nous connaissons tous ?

Nous sommes de plus en plus nombreux en Occident à être infiniment redevables aux Maîtres tibétains qui ont accepté de nous transmettre leurs Enseignements. Est-ce vraiment une façon de les remercier que d'ajouter encore aux difficultés de leur peuple, alors que nous, dans des pays en paix, nous jouissons de toutes les libertés individuelles ainsi que d'un confortable niveau de vie ?

Certes, Sa Sainteté n'a pas hésité à apporter son soutien. Mais il a aussi précisé que la décision ne lui appartenait pas, et surtout il est l'émanation même du Buddha de la compassion. Sa Sainteté est incomparable. Il est au-delà des normes et des conventions ordinaires. Ce n'est pas forcément le cas de tous ses compatriotes, dont certains risquent de se montrer réticents à l'annonce d'une telle réforme, d'une telle révolution même. Et on peut les comprendre : eux qui sont pris dans la tourmente depuis 1959, ou plutôt 1951, tiennent d'autant plus aux lambeaux de traditions qui subsistent encore. C'est leur identité culturelle, pas la nôtre.

En ce qui me concerne, lorsque j'ai pris refuge auprès de mon Maître tibétain, j'ai eu le sentiment de devenir bouddhiste, et certainement pas de devenir tibétaine (pro-tibétaine, oui, je le confesse). Lors de conférences, Sa Sainteté le Dalaï Lama insiste souvent sur l'importance de ne pas confondre la religion (ici, le bouddhisme) et la culture.

b) Les nonnes tibétaines de souche.

Concernant les nonnes tibétaines, j'imagine qu'actuellement elles ont des soucis plus criants que l'accès à l'ordination majeure. Au Tibet, c'est souvent leur vie même qui est menacée. En exil, elles ont pour la plupart d'entre elles de graves difficultés matérielles à résoudre.

Quand on se reporte à l'histoire du Tibet, il ne semble pas que ce soit l'absence de l'ordination majeure qui ait freiné les femmes tibétaines dans leur cheminement spirituel. Oui, elles ont rencontré beaucoup de difficultés, mais pas principalement à cause de cela. Quelques-unes ont quand même réussi à imprimer leur marque, comme bDag med ma (l'épouse de Mar pa méditée en tant que yidam), ou Ma cig Lab sgron (1103-1201) fondatrice de la branche Zhi byed qui perdure aujourd'hui au sein des quatre écoles.

c) Un faux problème ?

Je me trompe sans doute, mais je ne vois pas en quoi nous, les nonnes occidentales, nous serions bloquées dans "nos plans de carrière" éventuels.

Vous connaissez le bouddhisme mieux que moi. Pour résumer, la vie des moines et moniales bouddhistes est réglementée par le code monastique, appelé le vinaya. Si à l'époque du Bouddha il n'avait qu'une Règle, par la suite cela s'est diversifié et on mentionne jusqu'à 18 vinaya. De nos jours, il n'en subsiste que trois, implantés dans différents pays : Theravada en Thaïlande, Sri Lanka, etc.; Mûlasarvâstivâda dans la zone d'influence tibétaine; Dharmaguptaka dans la zone d'influence chinoise (N.B. d'où l'importance aux yeux de certains Tibétains de ne pas tout mélanger : c'est l'une des preuves les plus marquantes de la singularité tibétaine).

C'est suite à un décret royal du VIIIème siècle (cf Khri srong lde btsan; Sad na legs; Ral pa can) que les Tibétains s'en sont tenus au système Mûlasarvâstivâda, très strict. Ainsi, au XIème siècle, Dromtonpa s'est-il interposé quand Atisha a envisagé d'implanter sa propre école, Mahâsamghika (qui a aujourd'hui totalement disparu).

Comme je le disais plus haut, dans la mesure où nous ne sommes pas des Tibétaines, personne (et certainement pas nos Maîtres tibétains) ne nous empêche de demander à être ordonnées par des religieux Dharmaguptaka puis à étudier ce vinaya. Du reste, beaucoup de nonnes occidentales ont déjà franchi le pas. Elles sauront, j'en suis persuadée, forcer le respect des sociétés dans lesquelles elles vivent, ce qui leur permettra d'implanter une communauté bouddhiste féminine irréprochable de haut niveau.

Pourquoi compliquer ce qui pourrait être très simple ?

d) Ayons des égards pour nos aînés, les bouddhistes asiatiques.

A franchement parler, notre démarche actuelle fait que je me sens un peu gênée vis-à-vis des bouddhistes de tradition Dharmaguptaka. N'est-ce pas d'une certaine manière désobligeant à leur égard : nous avons besoin d'eux, mais nous ne concevons pas d'adopter leur système, pourtant éminemment respectable et complet, et qui leur convient à merveille depuis une bonne vingtaine de siècles ?… Ne sommes-nous pas trop exigeantes, à vouloir tout, en faisant des mélanges à notre guise ?

J'ai lu dans plusieurs de vos articles que le statut de bhikshu ou bhishunî était "nécessaire pour pleinement entrer dans la pratique du bouddhisme et pour pouvoir enseigner le Dharma".
Essayons de mesurer l'impact de telles déclarations sur nos frères et sœurs japonais - plusieurs millions de personnes, si je ne m'abuse. Cela revient à leur dire qu'ils ou elles sont irrémédiablement condamnés à rester au bas de l'échelle. De fait, depuis la rupture du shinbutsu bunri et les décrets de l'ère Meiji, dans les années 1872, les "moines" et "nonnes" du Japon ne peuvent plus suivre les règles du vinaya. Pour survivre, ils ont substitué à l'ordination monastique au sens classique du terme une ordination de prise du vœu de bodhisattva. Depuis 130 ans, il n'y a plus ni bhikshu ni bhikshunî dans la lignée japonaise ! Pourtant, il s'y trouve toujours des pratiquants et des enseignants non seulement sincères mais aussi qualifiés.

Autre exemple, celui de la Birmanie, pays très dynamique sur le plan du bouddhisme. Traditionnellement, les femmes ne peuvent y prendre que les préceptes fondamentaux, mais beaucoup de centres de retraites très fréquentés sont dirigées par des "Maîtresses" réputées pour leur enseignement de la méditation, ai-je entendu dire.


2. La notion de "pays central"

Au sens du Dharma, un "pays central" est un pays où se trouvent les quatre groupes de pratiquants : bhikshu et bhikshunî ; upâsaka et upâsikâ.
J'ai cru comprendre que cela fait référence au pays même où on vit (par ex, le Tibet; les U.S.A.), et non à la lignée à laquelle on est affiliée ("bouddhisme tibétain").
S'il s'agit bien du pays, je crois que, sur ce plan, dans l'immédiat nous ne pouvons pas faire grand chose pour le Tibet. En revanche, plusieurs pays occidentaux sont d'ores et déjà des "pays centraux" du fait de la constitution des quatre groupes sur leur sol : U.S.A., Canada, Allemagne, France , etc. Nous pouvons nous en réjouir. A nous de pérenniser la situation par des mesures appropriées.

3. Passeport pour le titre de "geshe" (kalyânamitra; dge bshes) ?

Voici à nouveau un domaine où je me sens très gênée…

a) Quand on garde au mot "geshe" son sens premier - "ami spirituel", ou plus littéralement "ami ès vertus" -, il "suffit" de développer les qualités correspondantes et, homme ou femme, on est devenu "geshe", ce même si on est laïc (cf plusieurs geshe kadampa, entre autres).


b) Si on entend par là "docteur en philosophie", cela mérite de réfléchir un peu plus avant.

- Il me semble que la pratique du bouddhisme n'implique pas d'étudier la philosophie, et encore moins selon la méthode dge lugs pa "des trois piliers", c'est-à-dire de Sera, Drepung ou Ganden. Car seuls les moines de ces trois monastères, et encore pas tous (environ la moitié des effectifs) briguent les titres de geshe (je mets le pluriel car, pour simplifier, disons qu'il y a quatre niveaux). Notons que le système que nous connaissons est somme toute très récent : il date du Treizième Dalaï-Lama. Dans les autres collèges philosophiques dge lugs pa, les moines lettrés deviennent bka' chen (bKra shis lhun po), rdo rams pa (bLa brang bKra shis khyil), rab 'byams pa (Dvags po grva tshang), etc.

Autrefois, les moines sa skya pa ou dge lugs pa devenaient bka' bzhi pa quand ils avaient soutenu des débats portant sur quatre sujets, bka' bcu pa (dix sujets), etc.
N.B. C'est peut-être là une idée à reprendre pour les nonnes qui auraient étudié 4 sujets mais pas le vinaya : elles pourraient briguer le titre de bka' bzhi pa ?

Toujours est-il que, même si les rnying ma pa, sa skya pa et bka' rgyud pa sont particulièrement larges d'esprit, il vaudrait peut-être mieux que nous évitions de clamer haut et fort que "hors du titre de geshe, il n'est pas d'enseignant du Dharma". De toute façon, ce n'est pas exact.

4. Vocabulaire de traduction

Je vous en supplie, faisons un effort pour éviter les "faux-amis" linguistiques et les faux-sens ou contre-sens !
En tant qu'interprète, je sais ô combien il est difficile de trouver des termes adéquats dans nos langues occidentales pour rendre certaines notions bouddhistes. C'est parfois après plusieurs années d'usage qu'on s'aperçoit d'un énorme malentendu. Or, plus on puise dans le vocabulaire des autres religions, plus les risques de confusion sont grands.

Comme je vous l'ai indiqué, je ne connais pas bien l'anglais. Mais mon dictionnaire de français m'a confirmé que, dans cette langue, "novice" donne l'idée de probation et de vœux temporaires, alors que sept types de vœux de pratimoksha sur huit selon le Mulâsarvâstivâda-vinaya sont des vœux DEFINITIFS, pris pour la vie entière. Seuls les vœux d'upavasatha (interdits par ailleurs aux pratiquants du mahâyâna, qui disposent d'un équivalent) sont temporaires : ils sont pris pour 24 heures, renouvelables.

Mettons-nous maintenant à la place de la majorité des bouddhistes d'origine occidentale, qui ne connaissent pas de langue asiatique : l'utilisation continuelle du mot "novice" les induit immanquablement en erreur. Pas étonnant qu'ils ou elles n'acceptent pas de s'en tenir à un noviciat à vie.

De même, il me semble que le terme de "postulant" ne traduit pas correctement "pravajita (rab byung), qui signifie "quitter la maison", et donc "entrer en religion" en assumant déjà un certain nombre de préceptes acceptés pour la vie.

A l'extrême rigueur, "prêtre" pourrait être gardé pour rendre "bhikshu", avec quand même de grands risques de confusion"; mais "prêtresse" pour "bhikshuni" est totalement inadapté (cf. culture grecque).

Quant à parler d'"âme" et de "péché", c'est selon moi totalement déplacé, voire … sacrilège.

5. Suggestions

Plutôt que de nous focaliser sur l'accès à des rangs ou des titres, il reste beaucoup à faire dans des domaines où vous œuvrez déjà avec énergie, ce dont je vous suis extrêmement reconnaissante :
- amélioration des conditions de vie des nonnes asiatiques et en particulier tibétaines ;
- amélioration des conditions de vie des nonnes occidentales (elles aussi rencontrent souvent de grandes difficultés matérielles) ;
- établissement de monastères destinés aux nonnes en Asie mais aussi en Occident (problèmes de visa, entre autres) ;
- formations sérieuses et complètes mais aussi diversifiées, en langue locale et en s'adaptant aux besoins et aux capacités des personnes concernées (tout le monde n'a pas envie, ou pas les moyens, d'étudier la dialectique ; ne soyons pas élitistes).

Pour conclure, je vous prie à nouveau de ne pas me tenir rigueur d'avoir pris la liberté de vous exposer ces quelques idées miennes, mais je suis sûre de pouvoir compter sur votre largeur d'esprit et votre sagesse empreinte de compassion.

Je vous prie de recevoir, Vénérables et Très Chères Sœurs dans le Dharma, mes salutations déférentes et chaleureuses,

Getsulma Losang Dolma (Dr. Marie-Stella Boussemart)
Fait à Bois le Roi, le 7/7/07

vendredi 23 novembre 2007

Le 11ème Abbé de Gyudmed Datsang

Né à E dans le Dagpo inférieur, Chöje Dagpo Namkha Dag devient moine très jeune et étudie à Dagpo Datshang auprès de Dagnyag Lodrö Legphel et de Rigpai Raldi Logrö Phelwa. Celui-ci avait composé un ouvrage sur les pāramitā, "Phar-phyin spyi-don", que son élève aurait mémorisé en vingt jours seulement !

Il poursuit sa formation classique à Sera Je. Il y vit dans un grand dénuement mais la faim ne fait que renforcer son ardeur à l'étude, à la réflexion et et à la méditation. Bientôt, il reçoit une aide précieuse de Jetsun Chökyi Gyältshän, qui a remarqué ce jeune moine prometteur.

A Gyudmed Datshang, il approfondit sa connaissance des tantra , surtout du Kālacakra, auprès de Gyältshän Zangpo et reçoit aussi à Ganden, de Chökyong Gyatsho, l'initiation de Vajrabhaïrava et la transmission du cycle de Guhyasamāja, instructions comprises.

Il demeure longtemps abbé du collège tantrique de Gyudmed. On dit qu'il aurait souhaité dispenser un enseignement très détaillé à propos du Kālacakra mais que les circonstances ne s'y sont pas prêtées.

Il compose également des textes, dont ceux traitant des stades de production et d'achèvement de Guhyasamāja sont encore utilisés de nos jours. Le Stade de production composé par Namkha Dag - et qui représente une soixantaine de pages - est toujours récité deux fois l'an par l'abbé du collège.

A la fin de sa vie, Namkha Dag se retire dans un ermitage, comme nombre de grands maîtres bouddhistes.

jeudi 22 novembre 2007

Un abbé courageux

Amdo Zhathra Gedün Phüntsogs (1648-1724)


Cet abbé actif et "engagé" vit une période extrêmement troublée du Tibet.

Disciple du 5ème Dalaï-Lama, il va à la rencontre du 7ème à Nagchu lorsque celui-ci peut enfin gagner le Centre. Il a donc connu le 6ème Dalaï-Lama, le légitime, mais aussi l'"intérimaire", des régents au sort tragique et bien des luttes intestines. Il est appelé l'Anachorète" (bya-bral) Gedün Phüntsog mais les affaires du monde le rattrapent inexorablement - il leur fait face et les surmonte.

Il naît le 8ème jour du 1er ou du 11ème mois dans l'Amdo, à Ngakhül. Ordonné moine encore enfant, en 1662, il gagne le Centre en compagnie d'un jeune oncle paternel et se met à étudier à Gomang (pāramitā) et à Ratö (vinaya et pramāna). Il se soumet aux examens traditionnels à Sangphu.

Ses maîtres sont prestigieux : le 5ème Dalaï-Lama, Brugla Ngagwang Lodrö, Tsangpa Ngagwang Jinpa, Thrichen Lodrö Gyatsho, ou encore Kangyurwa Jinpa Gyatsho, mais entre tous il vénère Jamyang Zhepai Dorje. Alors que lui-même est désormais membre de la communauté de Gyudmed, il reçoit de ce maître l'initiation du Vajramālā, en 1667, à Riwo Gephel. Et ce même été, juste après avoir été intronisé vice-abbé (bla-ma dbu-mdzad), il reçoit encore de lui les initiations de Guyasamāja, Saṃvara et Vajrabhaïrava, ainsi qu'un enseignement du lamrim.

Lorsqu'en 1706 Gedün Phüntsog devient abbé de Gyudmed, Jamyangs Zhepai Dorje* achève de lui transmettre le 'Grel-pa bzhi sbrags (ils s'étaient précédemment arrêtés au quatorzième chapitre), et lui donne un enseignement très détaillé sur les deux stades de Guhyasamāja (gSang-'dus rim-gnyis-kyi dmar-khrid).

Maître et disciple seront ensemble lorsque, sur ordre du gouvernement, durant le cinquième mois de 1709, Jamyangs Zhepa devra se rendre au Po-ta-la pour conférer à Yeshes Gyatso - le nouveau "sixième Dalaï-Lama" -, plusieurs initiations : Samvara à cinq déités selon la tradition de Ghandapādā (bDe-mchog dril-bu lha lnga), Vajrabhaïrava à cinq déités et bKa'-gdams thig-le bcu-drug, et ce en présence du Régent Lhazang.

Dans un tout autre domaine, Gedün Phüntsog fait restaurer les "maisons des tantra " (rgyud-khang) de Gyudmed àLhasa, et de Sang-ngag Khar.

Désireux d'instituer une session annuelle de Samvara, il offre au sixième Dalaï-Lama, Tsang-yang Gyatso*, 3.500 srang d'argent et entreprend des démarches auprès de Lhazang et des Dzoungar. Il obtient à Dechen des terres (glang-ra'i gzhis-ka) dont les bénéfices seront alloués au financement de cette session. Mais Gedün Phüntsog n'aura pas la satisfaction de voir la concrétisation de ce projet, qui ne se fera que sous le 33ème abbé, Ngawang Chogden - son principal disciple.

Il commande une nouvelle impression du 'Grel-pa bzhi sbrags dans l'Édition du Centre, qui est achevée en 1715.

Gedün Phüntsog est intronisé Ganden Tripa en automne 1712 et décide de faire dorer le stūpa funéraire d'argent de Je Tsongkhapa*. Il obtient pour cela le mécénat du roi de Tshongön, Losang Tenzin qui change en or tous les impôts de l'année.
Par ailleurs, il offre au collège Gomang deux dhvaja (rgyal-mtshan) en cuivre jaune, ainsi qu'une statue de Je Tsongkhapa en argent. Il fait construire trois nouveaux bâtiments communs (spyi-khang) pour son unité régionale, Jadräl Khangtshän. En 1722, il entreprend la réfection d'un ancien grand monastère kadampa déserté, Tshäl Gungthang. Il y érige un magnifique stūpa de style byang-chub incrusté de pierres précieuses, y installe statues et collections de livres, et y édicte un règlement modèle. Il offre en outre au Jo-khang deux grandes statues (thog-gnyis lhag tsam) d'Amitāyus et d'Akshobhya.

Nul doute qu'il ne ressente le besoin de contrebalancer les ondes négatives de l'époque : en 1707, sitôt devenu régent, Lhazang lui propose la charge d'abbé de Gomang Datsang que Gedün Phüntsog refuse aussitôt. Il vient de connaître des évènements dramatiques. Non seulement Lhazang a fait arrêter le sixième Dalaï-Lama et l'a contraint à un exil funeste, mais, au lieu de présenter un front commun, les dirigeants de Gomang et de Drepung étaient en complet désaccord sur la question d'emmener ou non Tsang-yangs Gyatsho en Chine.

Gedün Phüntsog ne fuit cependant pas les responsabilités, et en 1720, après avoir fait le nécessaire pour dissiper les obstacles, il se porte à la rencontre du 7ème Dalaï-Lama. A la tête des abbés de monastères et autres dignitaires, il va l'accueillir à Nagchu.

Après avoir eu cette occasion de se réjouir, il décède en 1724. Son disciple principal Ngagwang Chogden*, l'intendant (phyag-mdzod) Ngagwang Phüntsog et son propre frère cadet Tshojed Ngagwang Dargye lui érigent un mausolée à Gungthang.

Son lignage, antérieur comme ultérieur, est des plus impressionnants : Telopa, Nāropa, Bälpo Phamthingpa, Je Sherab Senge, Nyän Lo Darma Drag ou Rongpö Chöpa Rinpoche pour le passé, et, dans l'avenir, Gungthang Tänpai Drönme*, illustre maître gelugpa qui aura une activité exégétique remarquable.

Les nonnes d'Edo 2

2) Formes de la vie monastique

a) Le prix de la solitude

Quoi qu'on en pense généralement, il y eut malgré tout des religieuses vertueuses et dignes de louanges pendant cette période au fond assez mal connue en ce qui concerne les nonnes.

Zuitô-ni (1644-1730) était la fille de Takatsukasa Nobusakô et appartenait à une famille très influente.
Dès sa plus tendre enfance, elle montra un grand respect pour les trois joyaux (Bouddha, Dharma, Sangha). Elle ressentait profondément l'impermanence du monde et ne prenait pas plaisir au luxe qui l'entourait. En grandissant, elle fut demandée en mariage par un prince mais elle refusa cette alliance honorifique.

Agée de treize ans, elle entendit un jour son père expliquer un passage du Genji Monogatari et comprit soudain quelle était la vraie nature des êtres humains. Son père, émerveillé par la profondeur de ses raisonnements, déclara que sa fille lui était de loin supérieure et demanda aux deux moines les plus érudits des Monts Hiei et Kôya de lui enseigner la doctrine. Zuitô les surprit également par la subtilité de ses questions. En 1672, elle avait alors 29 ans, elle rêva qu'un envoyé du dieu Shirahige Myôjin (ou Sarudahiko no Kami) lui ordonnait de se consacrer à l'étude avec zèle.

Après la mort de Nobusakô, elle entra dans un monastère, à l'âge de 32 ans) et prit le nom de Shûzan Zuitô; elle s'installa d'abord au Tsûgen-ji, puis résida sept ans au Jiju-ji. Elle y eut pour disciple la fille de l'empereur retiré Gosai, à qui elle confia sa succession quand elle se retira dans un ermitage.

Sa réputation était parvenue jusqu'à l'empereur retiré Gomizuno.o qui l'invita à venir lui rendre visite dans son palais et voulait lui offrir l'habit violet. Elle déclina ces honneurs, prétextant qu'elle était indigne d'une telle faveur et que, de plus, étant vieille et malade, son état ne lui permettait pas d'entreprendre des voyages. Gomizuno.o approuva son attitude et lui adressa une calligraphie peinte de sa main, Zuitô refusa ce nouveau présent, estimant que ces choses futiles n'étaient bonnes qu'à éblouir et à aveugler les gens, prisonniers de leurs illusions.

Ainsi méprisait-elle tous les titres de gloire pour lesquels ses contemporains n'auraient reculé devant aucune bassesse. Elle excellait en littérature japonaise et écrivit des études (sous forme de questions-réponses) sur, par exemple, la véritable signification du Nenbutsu.

En 1707, elle rendit visite au Maître Manzan Dôhaku (16361715). Elle déclara par la suite qu'elle n'avait vécu tant d'années que dans l'attente de ce jour. Il y avait entre eux un lien très fort et leur relation devint vite celle de maître à disciple. Manzan Dôhaku possédait des reliques du maître Taiso Daishi, qu'il garda précieusement toute sa vie, mais qu'à sa mort il confia à Zuitô-ni.

On peut citer encore Jikô-ni, disciple de Zuitô-ni, qui reçut la transmission du maître Taikyû Genmitsu (1663-1720) ou Shungoku-ni qui présenta en 1721 le maître Tenkei Denson (1648-1735) à Shimomura Gensen.ishi. Ce dernier apprécia la valeur du moine et construisit un temple pour lui. Dairyô-ni restaura l'ermitage de Bashô, le Genjû-an, vers 1770 et Mankô-ni fit imprimer l'oeuvre de Dôgen, le Shôbôgenzô.

Sosen-ni (1730-1811) témoigna très jeune d'une profonde foi en le Bouddhisme. Comme elle voulait entrer en religion mais se heurtait au refus de ses parents, à neuf ans, elle se rendit auprès d'un maître, Hôjô Muso, et lui demanda de la recevoir comme religieuse. Emu, Hôjô Muso accepta d'intercéder pour elle et réussit à obtenir l'autorisation parentale indispensable. Elle pratiqua avec ardeur et se consacra surtout à la méditation; elle était remarquable aussi pour la profondeur de sa compréhension des points les plus délicats.

b) Le service des autres

Senrin-ni (1810-1869) voua sa vie aux oeuvres sociales. On rapporte de nombreuses anecdotes à son sujet. Ainsi relate-t-on comment elle procura un abri à des malheureux rencontrés en chemin ou comment, par une froide nuit d'hiver, elle donna son propre vêtement à un misérable, mue par la compassion. En 1868, elle participa à la construction de routes/dans la préfecture de Wakayama (col d'Ôsaka), ainsi que de ponts.

Ghikei Taitei, morte en 1909 à l'âge de 77 ans, a ouvert des écoles dans les monastères pour instruire les enfants de la campagne. C'était le premier essai d'éducation du peuple.